La cacherouth

Un dossier préparé par K. Acher
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La sagesse de Rav Chmouel Salant

Notre histoire se passe dans la famille Bergman, une famille moyenne typique du Méah Chéarim de l'époque.
Une famille de douze enfants, loin d'être aisée. La charge de la maison reposait essentiellement sur les épaules de la maîtresse de maison, aidée par les plus grands de ses enfants. En quoi consistait cette charge? Préparer le pain pour les sept jours de la semaine et les bouches à nourrir, porter les plateaux jusqu'au four public, puiser de l'eau au puits et la rapporter, cuire, lessiver, nettoyer la maison, coudre…
La journée la plus dure était bien sûr le vendredi, lorsque tout devait être prêt à l'heure pour accueillir la "Reine Chabbath". Depuis la veille, on avait préparé la pâte dont on ferait les hallot de Chabbath, les pâtes pour la "pachtida" (kougel), et qui servira aussi pour préparer les boulettes (koeufte, kneindelekh) du plat de midi.
Tout se terminait par la tresse des cheveux des filles, alors même que retentissait le son du Choffar annonçant les derniers instants avant l'allumage des bougies et l'entrée de Chabbath.
Ce vendredi-là, en plein hiver lorsque les journées sont si courtes, Mme Bergman venait d'allumer les bougies, et put enfin s'asseoir pour savourer le plaisir d'être une femme juive au-delà des charges exténuantes que cela lui procurait du Samedi soir au Vendredi après-midi.
Un petit nuage, qui devint une tornade l'empêcha de trouver le repos. Où était passée la pâte crue prélevée qu'elle avait pourtant l'habitude de brûler avant l'entrée de Chabbath? Sûre, elle ne l'avait pas brûlée cette fois, contrairement à son habitude.
Aidée de ses grandes filles, elle se mit à la recherche de la boule de pâte, et on finit par découvrir qu'une des petites ayant vu sa mère pétrir et repétrir avai fait de même avec la 'hallah du prélèvement, puis l'avait jetée dans la casserole où viande et pâte étaient mélangées pour en former les boulettes. La pâte, interdite à la consommation, se trouvait donc dans les boulettes, sur le feu et c'était le seul plat de Chabbath midi!

Rien n'allait plus. Le plat était-il autorisé à la consommation? Et sinon, que mangerait on Chabbath?
Sans hésitation, Mme Bergmann leva, mit son manteau sur ses épaules et se mit en route vers la Cour de la 'Horba, la synagogue de Rabbi Yehouda 'Hassid dans la Vieille Ville de Jérusalem, là où elle trouverait Rabbi Chmouel Salant (1816 – 1909, il fut le Rav de Jérusalem depuis 1840). Elle savait que lui pourrait répondre sans hésitation à ce dilemme, et qu'elle aurait ainsi le temps de revenir à la maison avant que "ses hommes" ne reviennent de la synagogue.
La maison de Rabbi Chmouel Salant s'ouvrait en permanence, autant Chabbath et Yom Tov qu'en semaine.
Mme Bergman fut admise de suite, et expliqua son histoire devant le vieil érudit. "Ton plat est permis sans aucune hésitation!"
C'est le cœur léger que Mme Bergman se remit en route vers sa maison, dans le Méah Chéarim, nouveau quartier en dehors des murailles. Quelques pas plus loin, elle rencontre sa voisine, Mme Rivlin, qui se hâte vers la maison du Rav. Chaleureux échange de ChabbathChalom.
"Que fais-tu ici à cette heure? Figure toi que je sors de chez le Rav, j'avais un problème avec la pâte prélevée qui a fini dans les kneindelekh et …".
"Tiens, mais j'ai le même problème. Et que t'as dit le Rav? Ah bon? De toute façon, j'ai déjà fait presque tout le chemin, je vais rentrer lui poser moi-même la question".
Après avoir exposé sa question au Rav, Mme Rivlin a une mauvaise surprise: "ton plat est interdit".
Réservée de nature, Mme Rivlin ne proteste pas que sa voisine vient de recevoir une permission qui lui est refusée. Elle se hâte de rentrer à la maison, expliquer ce qui vient de se passer chez le Rav Salant, et la contradiction flagrante entre les deux réponses.
Rabbi Yehouchoua Rivlin n'a pas un instant d'hésitation. Le Rav n'a pu donner qu'une bonne réponse, et une des deux femmes a soit mal expliqué la question, soit mal compris la réponse. Il faut qu'il aille lui-même reposer la question. Soit cela lui permettra de manger chaud demain, et éviter de jeter un plat permis, soit cela permettra d'éviter que chez les Bergman on consomme un plat interdit.
Lorsque le repas de Chabbath, les chansons et le Birkat Hamazon sont terminés, Rabbi se met en route vers la maison du Rav.
Rabbi Chmouel Salant le reçoit avec amabilité, lui fait un grand sourire, et avant même que Rabbi parle lui annonce:
"Je t'attendais. Voici l'explication: vos voisins sont une famille de douze enfants, peu aisée sinon pauvre. Les préparatifs de Chabbath leur coûtent toute une semaine de travail. On peut penser que lorsque Mme Bergman prélève sa pâte, et prélève un minima. Par contre son plat chaud du midi, est prévu pour plus de douze personnes, et doit les nourrir, puisqu'ils n'achètent pas de poisson pour le midi. C'est donc une petite part de pâte interdite qui est tombée dans une grande marmite, qui fait plus que 60 fois la portion interdite. C'est donc largement annulé.
Chez toi par contre, tu n'as plus d'enfants à la maison, et tu gagnes ta vie honorablement. Ta femme prélève une belle part de la pâte, qui est tombée dans une petite marmite convenant pour deux ou trois personnes. Il n'y a en aucun cas la quantité suffisante pour annuler la portion interdite".
Et Rabbi Chmouel Salant d'ajouter: "Rabbi Yéhochoua, on a préparé ici une grande quantité de tchoulent, bien plus que ce que je pourrai consommer. Viens demain midi partager notre repas avec ta femme et ton invité…"
L'invité écrira le jour suivant que dans le Beth Hamidrach de la Hourva, les érudits passèrent la journée à disséquer le cas, les quantités en jeu, les solutions possibles, et retentissait de concepts tels que "annulé dans un soixantième, annulé dans une majorité, un aliment interdit mélangé au même aliment permis, un interdit qu'on peut arriver à permettre etc…

Traduit par K.Acher de "Yérouchalaïm chel Maalah" de Menahem Guets,
(Volume 4, page 60)

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