La cacherouth

Un dossier préparé par K. Acher
Pour une lecture plein écran, ouvrez http://kacher.fr/ dans votre navigateur.. Mise à jour le

 

Aux abattoirs.

Un article d'Hugues Le Roux.
Illustrations de Mr L. Bombled
Article du Monde Illustré N° 1718, mars 1890

Suivi de notes de K.Acher.

(…) Le premier geste d'un tueur qu'un camarade insulte est de détacher sa boutique (ceinture portant ses couteaux). Un règlement jamais violé lui défend, quand il sort de l'abattoir pour aller boire un verre de vin au cabaret, d'emporter avec lui sa trousse à couteaux. Grâce à ça, on ne souvient pas d'avoir vu aux abattoirs une rixe sanglante (…)

Cette honorable pitié ne s'émousse jamais. Elle s'est ingéniée à épargner aux animaux qu'on tue les appréhensions de la mort. Il y a longtemps qu'on a renoncé dans les abattoirs aux procédés barbares de la tuerie paysanne.

Les chevillards se servaient d'un appareil nommé merlin, dont on peut voir la représentation dans le groupe de pierres que Mr Lefévre-Deslonchamps a sculpté pour l'entrée principale des abattoirs. Le merlin ressemble à une canne directoire. La branche de la pomme qui s'arrondit en corne de bouc est soigneusement chargée de plomb, l'autre bec saille horizontalement percé comme une clé forée. Avec cet instrument, le chevillard frappe le bœuf en tête, à la place où sur le front la plupart des bêtes à cornes porte une étoile. Un seul coup suffit pour perforer le frontal, assommer.
Mais il arrivait dans la pratique que parfois le plus habile homme pouvait manquer son abattage. L'animal, effaré par le brandissement du merlin retirait brusquement la tête; l'arme portait à faux, le bœuf fuyait, à demi assommé. En tout cas son agonie était prolongée.
Un boucher zoophile a cherché et découvert le moyen d'abréger ces souffrances inutiles; l'appareil, qui de son nom s'appelle "masque Bruneau" a été adopté par le ministère de la guerre, et il est imposé dans les grandes villes de France, d'Allemagne et de Belgique, par les municipalités.
Mr Bruneau masque le bœuf dans la bouverie; il a soin de passer la courroie qu'il fixe derrière les oreilles de la bête. De cette façon, la plaque s'applique parfaitement sur le frontal.
A l'emplacement de la cervelle, ce masque est percé d'un trou assez large pour qu'on puisse y introduire un boulon qui n'est guère plus gros ni plus long que l'index.  Le tueur, à qui la bête vient d'être amenée, place ce boulon dans le trou du masque, puis d'un seul coup de maillet, il l'enfonce dans le crâne.  Le bœuf tombe, pesant comme un pan de muraille.
Par le petit trou que le boulon vient de percer dans la cervelle, on introduit une longue baguette de jonc. A peine a-t-elle touché la moelle que le mouvement convulsif des pattes s'arrête. L'animal déjà insensible est foudroyé.

L'usage du masque Bruneau est aujourd'hui presque général aux Abattoirs.



Une seule catégorie de tueurs demeureront réfractaires à son emploi: les sacrificateurs israélites. Aussi bien sont ils de véritables prêtres, prisonniers de rite religieux vieux comme la Terre Promise.
Il y a aux Abattoirs trois tueurs "consistoriaux". Lévy-Meyer, Blum et Marcus Bernard. Un quatrième prêtre tue pour les juifs portugais qui suivent le rite dissident dit "sephardi".  Ces sacrificateurs n'assomment point: ils égorgent. Le bœuf qu'on leur amène arrive la face découverte. Ils lui garrottent les pattes et, renversé sur le dos, l'élèvent de terre au moyen d'un treuil de telle façon que l'animal présente sa gorge.  Alors le sacrificateur s'avance. Il est armé d'un couteau carré du bout et qui d'ordinaire a une origine sacrée. Celui de Marcus vient de Varsovie; un autre porte le nom de Wurtzbourg.

Avant d'être admis à tuer pour leurs coreligionnaires, les sacrificateurs ont subi des examens. Il y a une épreuve pratique dite "examen du couteau". L'aspirant doit prouver qu'il sait "trouver les brèches" [ébréchures de la lame], égorger sans "piquer" [sans appuyer le couteau pour trancher], sans toucher les os. Si par aventure sa lame heurtait la colonne vertébrale, le bœuf serait profané [non cacher].

L'examen théorique a pour objet l'étude du poumon et des viscères.: Il faut, m'a dit Lévy-Meyer, que notre main sache tout. En effet, dans la trouée sanglante que son couteau vient de pratiquer, le sacrificateur enfonce le bras.
Il reconnaît au toucher, si l'animal n'est atteint ni de phtisie, ni de gravelle.

Il le saigne alors lentement, presque goutte à goutte. L'effroyable souffrance de la bête dont l'agonie dure parfois plus d'un quart d'heure n'a pu déterminer les dévots israélites à l'abandon d'une coutume qui répugne à notre délicatesse.  Il faut que le bœuf ait été saigné vivant pour qu'il soit "viande kascher", c'est à dire pour qu'on lui imprime sur la cuisse un cachet qui porte le nom du rabbin et la date de l'exécution.

Comme le sang est ici plus largement répandu que partout ailleurs, c'est de préférence à l'échaudoir de Blum et de Lévy Meyer que les buveuses de sang se donnent rendez-vous.  Rien n'est moins prouvé que l'efficacité de ce traitement barbare. Il paraît que le sang de bœuf, voire tiède de vie, ne s'assimile point au nôtre. Il traverse l'estomac sans enrichir le buveur d'aucun principe vivifiant; mais la superstition populaire est plus forte que les affirmations des médecins.  Il y a des mères qui amènent des petits enfants nouveaux nés, et, tout nus, les plongent dans la "nivet", c'est à dire la cuvette vers lequel le sol de l'échaudoir descend en pente. Jamais vous ne ferez comprendre à ces bonnes femmes que leurs marmots retireraient tout autant de profit d'un bain tiède et salé.
De même, les pâles anémiques qui le martin viennent tendre leur gobelet au sacrificateur s'imaginent vraiment qu'elles boivent la santé à cette fontaine vermeille de sang.
Le spectacle de ces libations est étrange, et quoi qu'on en ait, repoussant. Ces jeunes femmes ont perdu dans l'habitude quotidienne le dégoût des premiers jours. Il faut les voir, quand elles se penchent toutes pâles, vers le pavé sanglant, qui éclaire d'un reflet pourpre leurs visages délicats.
(…)

La gravure est beaucoup plus jolie que ça!!!!

Notes.
Le débat sur la chehita ne date pas d'aujourd'hui, et était certainement ancien lorsque l'auteur a écrit ces lignes.
Il est surprenant de le voir passer très brièvement sur "A peine a-t-elle touché la moelle que le mouvement convulsif des pattes s'arrête. L'animal déjà insensible est foudroyé.", alors qu'il insiste sur "L'effroyable souffrance de la bête dont l'agonie dure parfois plus d'un quart d'heure".
Nous ne sommes pas loin de penser que les soubresauts convulsifs durent parfois aussi un quart d'heure et que "l'agonie" dure le plus souvent bien moins qu'un quart d'heure.
Quant à la remarque sur la "coutume qui répugne à notre délicatesse", on peut être sûr que l'abattage version Bruneau ferait pâlir plus d'une âme sensible aujourd'hui.
L'auteur a bien "vu" quelques unes des conditions nécessaires à une chehita cachère: un couteau sans ébréchure, ne pas appuyer pour couper mais passer le fil de la lame sur le cou, ne pas toucher la colonne vertébrale car cela rendrait le couteau ébréché et invaliderait l'abattage, la lame carrée afin de ne pas transpercer l'animal.
Bien vu encore l'examen anatomique post mortem des animaux et la recherche de lésions pulmonaires. Il ne fait pas allusion à l'examen vétérinaire: existait il à l'époque, ou consommait on encore la viande de bêtes tuberculeuses?

Autre temps, autres mœurs, disent ils.
Sauf que nos mœurs sont le Loi de D.ieu!

Un dossier préparé par K. Acher